Apolonia Sokol

Née en 1988, vit et travaille à Paris.

La peinture est une affaire de groupe. De tribus, de familles, d’entourages. La peinture, ou une certaine peinture figurative du moins, celle dont on garde une image romantique séculaire et qui a élu le portrait comme ultime moyen d’expression.

Chez Apolonia Sokol, l’idée de collectif perdure. D’abord parce que ses sujets sont forcément issus de son cercle proche, transposant sur la toile les affinités électives et électriques des rencontres. Amis, amants, belles âmes de passage : tous se retrouvent traités en pied à l’échelle un, seul ou par paire, où l’on croit reconnaître ici la pose du pape d’El Greco, là une rugosité nerveuse échappée d’un tableau d’Otto Dix. Mais cette bande recomposée, c’est aussi le résultat de la traversée subjective de l’histoire de son médium qu’entreprend l’artiste, peintre avant tout, créant des alliances improbables et contre-nature où Giorgio Morandi noue connaissance avec Elizabeth Peyton, et Kerry James Marshall se prend d’amitié pour Albert Oehlen. Loin d’une hybridation post-moderne, Apolonia Sokol réaffirme la position du sujet, d’un moi triomphant qui parcourt le monde et agrège dans le sillage de ce corps-à-corps avec la matière brute du réel, une matière brute retenant sans distinction l’histoire de l’art, la pop culture, l’émotion pré-langagière et les accidents sans qualité du quotidien.

S’il a beaucoup été question d’une génération de peintres entre New York et Cologne, l’ère présente se redéfinit à l’aune du sujet. Non pas qu’il faille y voir le triomphe du néolibéralisme et de sa célébration de l’individualisme, mais au contraire, une reconquête de l’esprit de groupe qui passerait d’abord par l’affirmation de sa position propre.

Ainsi, si les stéréotypes sont légion dans les portraits d’Apolonia Sokol, ils ne sont que costumes, que l’on endosse ponctuellement sans s’y perdre : la muse, le modèle, la sorcière, l’amante, la sainte, les figures mythologiques, incarnés tantôt par l’artiste, tantôt par ses proches — n’hésitant pas à se mettre elle-même en scène dans son atelier, posant devant ses toiles, afin de souligner encore un peu plus cette réversibilité. Et avec la fluidité innée de sa génération, passée maître dans l’exercice de la déhiérarchisation autant des sources que des identités, conjuguer au féminin et au pluriel la figure du grand artiste dans son atelier.

Texte de Ingrid Luquet-Gad

Œuvres présentées dans « En forme de vertiges »

Œuvres de l’artiste