Laetitia de Chocqueuse

Née en 1983, vit et travaille à Paris et Zurich.

Les œuvres de Laetitia de Chocqueuse se donnent à nous dans l’étourdissement d’un vertige. Chaque pièce contient, comme le coquillage la mer, le souvenir spatio-temporel de son contexte originel. Si les sciences, humaines comme naturelles, se mêlent à l’histoire des techniques et des formes, la mise en relation de réalités éloignées voire divergentes ne s’arrête pas là.

Car chacune est également traversée par l’idée du flux, du cycle, englobant à la fois la transmission et l’anticipation. Plus qu’une temporalité, s’y détache la mise en œuvre du processus d’interprétation, condition essentielle pour l’artiste afin que l’objet ou l’artefact accède à la qualité d’œuvre. Superposer les coordonnées géographiques et temporelles reviendrait alors à poser la question de la réception, une réception plurielle creusant son chemin à travers des strates de sens et potentiellement réagençables. À notre tour, visiteur, il nous faut alors adopter un regard affûté, doublé d’un réflexe herméneutique, lorsque nous parcourons les salles de la Villa Emerige.

Ces vieux journaux, abandonnés aux quatre coins du rezdechaussée, rien de plus facile que de les ignorer. Un examen plus minutieux ne tardera cependant pas à    relever des éléments discordants : peints à l’huile, ces « unes » et quatrièmes de couverture, traitent de découvertes, dans un futur proche, d’étranges objets archéologiques recouverts d’écritures non déchiffrées. Comme les écritures, arabesques en apparence dénuées de fonction, la plupart des œuvres de l’artiste sont codées et reproduisent, dans leur logique interne, l’aléatoire sériel qui rythme le réel.

À l’étage de la Villa apparaissent comme par magie les objets en question, vestiges datant d’il y a 3000 ans avant notre ère, dont on apprenait l’existence par les journaux peints. Sur l’arc de cercle reliant la préhistoire au futur, le curseur est mobile, et les pièces de Laetitia de Chocqueuse jouent précisément de ce déplacement.

Par leurs ambitions célestes et totalisantes, elles semblent alors incarner, dans l’espace physique, ce que le philosophe Quentin Meillassoux qualifiait dans son ouvrage Après la finitude d’« archifossiles » : des réalités antérieures à l’apparition de la pensée, existant d’elles-mêmes dans leur complexité intrinsèque. Et ce, bien avant que quiconque ne les regarde ou ne cherche à les qualifier de ceci ou de cela.

Texte de Ingrid Luquet-Gad

Œuvres présentées dans « En forme de vertiges »

Œuvres de l’artiste