Nées en 1991 et 1990, vivent et travaillent à Paris.
Elsa Parra et Johanna Benaïnous se sont rencontrées à New York alors qu’elles étaient encore étudiantes. Elles partagèrent rapidement une passion commune et en apparence plutôt banale : observer les passants.
Mais là où l’exercice s’arrêterait pour la majorité d’entre nous au plaisir diffus d’un verre partagé entre amis en terrasse, elles décidèrent au contraire d’en faire l’objet d’un travail filmique et photographique d’une rare intensité. La série A Couple of Them (2014–2015) forme ainsi une sorte de voyage qu’elles entamèrent dans les profondeurs de l’altérité, au travers de 72 portraits photographiques et 23 portraits vidéo qui nous plongent au cœur d’une génération d’adolescents ou de jeunes adultes, garçons et filles, qu’on devine couples, amis, frères et sœurs, cousins peut-être…
La particularité la plus saisissante de ces portraits tient à ce qu’ils sont tous incarnés par les artistes elles-mêmes, chaque cliché nécessitant parfois plusieurs longues journées de travail, jusqu’à entrer entièrement dans ces personnages fictifs et jusqu’à ce que chaque détail de leurs visages, de leurs corps, des vêtements qu’ils portent et de l’environnement qui les accueille ne puisse plus céder sous le poids de notre capacité à démonter ces images. Chacune d’elles, au contraire, agit comme une histoire vécue dont chaque mot semble être prononcé par un détail de ce qui entre dans le cadre, comme si la méticulosité de Pérec, lorsqu’il énonce Les choses, trouvait ici un prolongement photographique. Et pourtant, et justement, quelle banalité ! Un couple dans les broussailles, une jeune femme sur un banc, une fille en jogging devant le filet d’une cage de foot, un ado vêtu d’un treillis au milieu d’un champ de maïs…
On suppose être quelque part aux États-Unis mais rien n’est jamais spectaculaire, aucun mouvement ni aucune situation ne devrait, a priori, être digne d’attirer nos pupilles fatiguées d’Instagram. Mais par on ne sait quel effet de lumière et de composition, en faisant juste plutôt que trop, une sorte de tension apparaît qui nous livre la conviction du vrai alors même qu’on se sait regarder un artifice.
Et puis, il y a les regards : comme remplis d’une fatigue mélancolique. Presque tous ces visages ont quelque chose de cette gravité paradoxale, de cette usure de l’adolescence pleine de certitudes et de gaucherie. Pleine de cette impossible innocence du corps qui bat. Texte par Gaël Charbau.