Née en 1989, vit et travaille à Bruxelles et Paris.
Se frotter à l’actualité et aux violences du monde, sans tomber dans une prise de position individuelle somme toute dérisoire, n’est pas chose aisée pour un artiste. Si Léa Belooussovitch évite cet écueil, c’est que ses inventions formelles, loin de se réduire à de simples représentations, s’apparentent à des dispositifs qui détournent le mode de réception initial des images ou des données médiatiques que la jeune femme manipule. Cette dernière agence ainsi des procédés qui permettent une mise à distance critique du sujet et postule, à rebours des mass-media et de la consommation de l’information, une économie du regard à vertu curative.
Pratique récurrente, ses dessins sur feutre transcrivent sur un matériau inattendu (et cher à l’une des grandes figures de l’art contemporain, l’Allemand Joseph Beuys, qui prêtait au feutre une qualité protectrice) des clichés d’évènements qui font la une de la presse : scène de guerre en Syrie, débarquement de réfugiés sur l’île de Lesbos en Grèce, etc. Sous l’effet du crayon venu décoller la matière duveteuse d’un blanc éclatant, la scène se dilue en halos de couleurs, altérée jusqu’à l’abstraction. Loin de l’instantané photographique, Léa Belooussovitch creuse littéralement la distance entre le référé (le fait d’actualité, rappelé par le titre de l’œuvre) et le référant (sa représentation). L’effet de flou, franche sensualité de la matière, semble inviter le regard à une impossible mise au point.
La manipulation peut être plus frontale : dans Les méthodes (2015), la jeune femme présente une série de captures d’écran de vidéos ou de photographies glanées sur Internet qui témoignent de scènes d’exécutions publiques, dans des pays les autorisant. Un seul protagoniste manque à l’appel et pas des moindres : le condamné à mort, gommé par l’artiste. Demeure le contexte (et n’est-il pas l’essentiel ?) que l’image se révèle impuissante à renseigner.
Le propos de Léa Belooussovitch se décline ainsi en une variété de médiums au rang desquels il faut ajouter l’installation, parfois évolutive. C’est le cas de Nécrologe, pile de serpillères immaculées qui constitue une liste des meurtres irrésolus en Belgique, depuis que l’artiste y réside. Chaque serviette accueille les principales données d’un drame. Et l’œuvre est mise à jour à chaque apparition ou résolution d’une affaire. En attendant, les bribes d’information en jachère disparaissent dans les plis des étoffes, fractionnées tels des pixels.
Le registre activé, entre visibilité et invisibilité, ne manque pas de pudeur. Il grippe surtout de manière incisive ce qui fait la puissance (et la dangerosité) de l’image voire des flux d’informations : une capacité à s’imprimer dans nos représentations plus ou moins conscientes en passant par l’œil, exclusivement. Texte par Marine Relinger.