Née en 1987, vit et travaille à Paris.
« L’adoption d’un mode de vie ultra-consumériste révèle une crise des valeurs ». La conclusion du mémoire de Kim Yeojin, sur l’évolution fulgurante de la société sud-coréenne d’après le modèle du capitalisme occidental, nourrit désormais son travail plastique. A travers la représentation quantitative de certaines valeurs, la jeune femme tend à matérialiser une idéologie et des problématiques comme la disparition du sens ou l’effacement de la personnalité.
Support ostentatoire (2015), qui reprend volontairement la forme raffinée du luminaire chandelier, est ainsi composé de dix-sept bandes de film noir dont la surface correspond à la quantité de la partie encrée de dix-sept livres de théoriciens occidentaux. Pour arriver à ce résultat, l’artiste a numérisé les ouvrages avant de les traiter via un logiciel calculant le nombre de pixels de la partie encrée, puis a découpé les films aux ciseaux au millimètre près. En résulte une bibliothèque strictement mobilière, traitant la potentialité de la connaissance par sa quantité et sa valeur décorative. Incarnant elle-même « cet individu contemporain au sens passif », Kim Yeojin met en œuvre un processus de décadence de sa propre valeur en tant qu’artiste : le labeur de la fabrication manuelle, l’hétérogénéité des détails formels et la richesse conceptuelle de son œuvre sont difficilement lisibles, de prime abord, au profit d’une esthétique minimaliste à la facture industrielle.
Avec Profil conglomérat, l’artiste présente huit plaques de bétons de format A3 posées de biais sur un socle en métal. L’ensemble implacable se réfère à la division du travail par une utilisation des formats papiers internationaux : la première plaque est formée d’une seule brique de béton de format A3, la seconde de deux briques A4 composant un A3, la troisième de quatre briques A5, etc. Ces formats ont été conçus pour que les proportions d’une feuille divisée en deux dans sa longueur soient conservées en vue d’un massicotage sans perte, suivant une propriété mathématique remarquable découverte par Léonard de Vinci.
Dans une autre installation (Mise en scène du bonheur), datée comme les précédentes de 2015, la jeune femme présente cinq pieds de tables industriels moulés en béton et renversés sur un socle blanc posé au sol. A leur base, des échantillons de contreplaqué de teintes différentes complètent une revue des styles (de l’inspiration Louis XV à Ikea) qui, de mémoire de l’artiste, ont successivement envahi les intérieurs de la classe moyenne coréenne des années 1990 à nos jours. Si Kim Yeojin formalise ainsi « l’insignifiance de l’être au regard totalitaire », il sourde de ses travaux sa propre résistance à un monde standardisé, auquel l’Homme, après tout, jamais ne saura se résoudre, puisqu’il n’est pas seulement déshumanisant, mais inhumain. Texte par Marine Relinger.