Olivier Bémer

Né en 1989 à Chatenay-Malabry, vit et travaille à Paris.

De ce dialogue improbable entre John et Alice, lui évoquant un monde idéal, sans frontière ni guerre, elle réexpédiant ses phrases par des réponses pragmatiques, voire cyniques, se déploie un imaginaire dystopique bercé de désillusions et de mélancolie, à l’opposé des prophéties à l’origine du numérique. Connue au début des années 2000, A.L.I.C.E. est une chatterbot qui, dans le clip animé, prend les traits d’une icône de beauté standardisée tournoyante et piétinant le célèbre morceau Imagine. Olivier Bémer tente sans doute de sonder cet imaginaire en panne qui, à force de calculer, de prédire ou de prévoir, ne voit plus, ne projette plus.

Dans un monde diligenté par des algorithmes acéphales vantant les vertus du smart, de l’automatisation et du mapping, la vie des individus ne répond plus qu’à des stimuli réflexes. Obéissant aux injonctions ciblées de son assistant personnel, aux spams promotionnels et autres applications de Quantified Self, le personnage de la vidéo Playtime évolue dans les dédales d’un espace déréalisé, tant optimisé qu’il n’en paraît que plus froid et impersonnel. Douce évocation de The Truman Show ou du film éponyme de Jacques Tati, les décors en carton et les reflets miroitants des architectures de verre se sont ici substitués aux transparences et aux scintillements de la liquidité des flux autorisant toutes les perméabilités du privé et du public. Monté en boucle, le scénario puise sa matière dans les schémas issus de brevets techniques publicitaires en accès libre sur le net. Il en résulte une sorte de mode d’emploi pour une vie ciblée et surmesure, où le hasard et le libre arbitre, la possibilité de créer et de coopérer semblent avoir disparu.

Cette solitude programmée est encore au cœur du projet 0,10 $ Collective Attempt où, via la plateforme Amazon Mechanical Turk, l’artiste demande à des tâcherons — ces travailleurs du clic et des micro-tâches sans lesquels nos supposées intelligences artificielles ne seraient rien — d’effectuer deux actions simples : applaudir et rire. Ces requêtes rémunérées 0,10$ sont ensuite superposées afin de jouer une mélodie collective. Dissonante et trébuchante, celle-ci semble nous rappeler que chacun est enfermé dans une bulle qui nous immunise de toute expérience commune.

Texte par Marion Zilio

Œuvres présentées dans « L’effet falaise »

Œuvres de l’artiste