Alice Guittard

Née en 1986, vit et travaille à Paris.

Elle porte le prénom de l’héroïne de Lewis Carroll et cela lui va bien. « Ce que je dis n’est pas toujours vrai », prévient-elle en souriant. Si Alice Guittard, ses mensonges et ses trous de mémoire, nous évoquent d’autres personnages de roman (Don Quichotte, notamment) c’est que sa démarche plasticienne n’est pas sans lien avec une pratique d’écriture. Mais une écriture dans le réel qui, vivace, déborderait la virtualité du livre, pour venir contaminer la vie quotidienne.

« Connaissez-vous Tölzbad, ce village des Alpes suisses-allemandes dans lequel les habitants coupent les cordes vocales des chiens pour éviter les avalanches ? » C’est après avoir entendu cela que la jeune femme est partie à    la recherche de l’endroit — qui n’existe pas — avec son alter ego imaginaire Tom Bulbex, né d’une erreur de langage de l’artiste. Cela a donné une exposition fleuve, présentée en 2011 à la Villa Arson de Nice, dont Alice Guittard est diplômée. Quête transalpine non euclidienne symboliquement authentique rassemblait éditions, sculptures, photographies, dessins, pièces sonores (une personne bègue rencontrée sur la route incarnant la voix de Tom) et divers éléments récoltes durant l’expédition.

En Islande, la jeune femme s’est laissée balader trois semaines en auto-stop, brandissant une pancarte estampillée « Alveg sama » (en français, « Peu importe »). Apprenant que les arbres ne couvrent qu’1% du territoire national, la voilà traversant à la nage le lac Tjö̈rnin afin de planter un palmier niçois sur un îlot de terre, sous l’œil inquisiteur de la webcam de l’office de tourisme de Reykjavik braquée sur le site, un ami enregistrant par ailleurs cette performance live (Hola Vefur Loð, 2012). Visitant une demeure abandonnée de l’artiste Dieter Roth, elle y subtilise une édition rendant compte de la scénographie d’une pièce musicale, qu’elle reconstitue — au prix de certaines distorsions — en une exposition (Guépardes, Impuissantes (1973-2013)).

Qu’elle réécrive les vers du poète Gherasim Luca à l’aide de synonymes, avant de faire de même avec ses propres livrets dans l’espoir d’aboutir à une version antonyme de l’original (série qu’elle qualifie de « collaboration post-mortem »), ou qu’elle émulsionne sur marbre des clichés personnels ou d’archive suivant une technique archaïque révélant une empreinte aussi précieuse que fragile, Alice Guittard fait force d’une imagination rebelle. La sérendipité qu’elle met en œuvres accouche ainsi d’espaces autres, qui évoquent les hétérotopies foucaldiennes : ces lieux physiques, s’inscrivant dans l’espace, qui contiennent néanmoins un ailleurs, tel un hôpital psychiatrique, une prison ou le grenier familial. « Des contestations à la fois mythiques et réelles des lieux dans lesquels nous vivons », selon le philosophe.

Texte de Marine Relinger

Œuvres présentées dans « En forme de vertiges »

Œuvres de l’artiste