Né en 1992, vit et travaille à Paris.
Gwilherm Lozac’h navigue à vue entre des mondes, et à cela, l’art lui sert de boussole. Drôle de boussole qui désoriente plutôt qu’elle n’indique le droit chemin, instrument ultra-précis dont la finalité même serait de provoquer la collision de dimensions incommensurables. Instrument de désorientation certes, la déconstruction de nos habitudes perceptuelles et théoriques tient lieu de prémices. La démarche de l’artiste commence ainsi véritablement lorsqu’au mouvement de déstabilisation initial, à l’aléatoire apparent, succède l’opération de mise en forme. S’il dit rechercher la signification la plus précise possible, la peinture ou la sculpture viennent chez Gwilherm Lozac’h proposer autant de réalités alternatives : des « portions d’espaces reconstituées » où la représentation du monde extérieur est baignée d’un éclairage purement mental.
De fait, l’artiste ne revendique comme influences non pas tant une filiation plastique et formelle que les œuvres d’autres « faiseurs de monde » : avant tout l’univers de Gustave Flaubert, mais aussi le film IDIOCRACY de Mike Judge, la nouvelle Flatland d’Edwin Abbott ou encore le roman L’Homme sans qualités de Robert Musil. La série de sculptures I built a stage to feel this way, commencée en 2015, incarne alors dans l’espace physique la collision de dimensions en théorie incompatibles. Pour cela, l’artiste reprend les codes du white cube, l’éclairage cru au néon ou encore les teintes sans qualité blanc, gris et noir qui, à force, ont fini par constituer un paradigme en soi — une fiction alternative nommée « art ». Dans ces dispositifs de vision, équivalents modernes des camera obscura d’antan, Gwilherm Lozac’h insère des fragments de corps en plâtre et en bois : ici un bras, là une jambe, non sans rappeler les inquiétants membres disloqués d’un Robert Gober. Cette dialectique entre intérieur et extérieur, irréconciliable comme l’est la fameuse expérience de pensée du chat de Schrö̈dinger, se joue certes à l’intérieur de chacune de ses œuvres, mais se répercute également à l’ensemble de sa production.
Au corpus sculptural s’adjoint depuis un an une pratique de la peinture. Or au changement de médium correspond également un changement de point de vue : dans ces peintures en noir et blanc, ce ne sont plus les codes de la représentation que nous percevons de l’intérieur, mais bel et bien le regard du peintre sur lui-même. Sur lui-même, c’est-à-dire en tant qu’archétype prédéfini, contemplatif et habité — énième mise en abîme qui, à la dualité, fait préférer le modèle du vortex.
Texte de Ingrid Luquet-Gad