Léonard Martin

Né en 1991, vit et travaille à Rome.

« Il y a des idées en cinéma qui pourraient être d’excellentes idées en roman, mais elles n’auraient pas la même allure du tout », expliquait Deleuze. De ces « rencontres », de ces affinités créatrices envisagées par le philosophe, Léonard Martin semble coutumier.

De sa compréhension jubilatoire d’œuvres éminentes du répertoire (littéraire ou autre), Léonard Martin tire des univers très personnels, des imaginaires débridés qui s’offrent en unités retrouvées. Se proposant de formuler une « version formelle » de l’Ulysse de Joyce, le plasticien a suivi le chemin parcouru à Dublin, le temps d’une journée, par les personnages du roman, récoltant au passage des sons et des images. Résultat : l’installation Échappée guère (2017) prend la forme d’un grand circuit de bois mécanisé aux airs de montagnes russes, où trois silhouettes cheminent sur des pistes entremêlées ponctuées d’îlots dramaturgiques.

Cette transposition spatio-temporelle et sonore, on peut l’aborder d’un regard, se perdre dans la minutie des détails et rouages implacables qui sont ceux de la tragédie ou, encore, l’écouter. L’Ulysse de Joyce aurait-il une musique, un rythme, tel ? « Question de point de vue », répond Léonard Martin. Cette mobilité perceptive, il l’applique à ses fabrications même.

Léonard Martin découpe ses propres peintures, en agence les fragments dans de petits théâtres d’objets et de matières, entre abstraction et figuration, où il plonge sa caméra… avant de réaliser de nouvelles peintures de détail. Hommage à l’ouvrage Le bruit et la fureur de Faulkner — « ce livre en 1000 morceaux », souligne le plasticien —, le film Yoknapatawpha (2016) capte les interactions malhabiles de marionnettes à fils aux accents picassiens, dans leur décor de bric et de broc, au sein duquel elles tendent à se fondre, ramenées à leur réalité matérielle, et donc à apparaître. « Je veux que les choses soient déjà là, qu’elles surgissent sans que l’on ne s’en aperçoive », rapporte Léonard Martin, qui transpose ainsi au cinéma les flux de conscience rendus en littérature.

« Le mouvement est dans la pensée », conclut Léonard Martin, qui passe d’un médium à l’autre, animant l’inanimé, sans trahir son idée. Lorsqu’il fixe de nouveau, en peinture, un détail de l’une de ses étranges scénographies, il refuse d’y voir une nature morte : là, non pas une pièce de bois et un bout de grillage, mais le débarquement d’un bateau (Théâtre des opérations, 2017), inspiré d’ailleurs d’un tableau de Rubens. Tel l’enfant qui érige des mondes à partir de trois bouts de bois, l’artiste affirme la puissance d’un imaginaire : la composition héritant de sa velléité narrative une étrange cohérence.

Texte de Marine Relinger

Œuvres présentées dans « Outside Our »

Œuvres de l’artiste